Monday, June 16, 2008

Éloge de l'activisme

Entretien avec Pauline Le Goïc par AB du Baton de Parole

A.B: Bonjour Pauline. Tu viens de France, alors peux-tu nous raconter ce qui t'a amené ici à Montréal ?

P: À la base, j'ai une pratique qui mêle art et activisme. Je fais partie d'un collectif à Rennes qui s'appelle Public Act. Ensemble, nous menons des recherches et nous en sommes venus à nous dire que ce serait bien de faire une recherche qui s'inscrive dans le cadre universitaire, même si ce cadre justement ne nous plaît pas beaucoup. Donc on s'est engagé collectivement dans la réalisation d'une thèse de doctorat. Et c'est donc par rapport à cette recherche que j'ai connu le Festival Infringement. Pour cette recherche c'était intéressant, mais aussi pour moi, puisque je voulais proposer quelques actions "en tant qu'artiste". Pourquoi pas à l'édition de Bordeaux ? Parce que je voulais connaître un milieu activiste différent, de nouvelles formes de pratiques. Je voulais saisir ce que signifie activisme ici, les gens que ça regroupe...

A.B: Quelles sont justement les performances que tu présentes pendant le festival?

P: Il y a deux actions. La première c'est éloge de la paresse. Ça consiste à m'installer dans l'espace public. Je suis moulée dans un hamac d'un vert bien pétant, accrochée dans le mobilier urbain. Je reste là, immobile, muette. Le temps varie selon les conditions, l'idéal c'est de rester une bonne heure minimum.

"L'idée c'est de créer un contraste avec l'ambiance de la ville, le bruit, la vitesse, les gens qui sortent du métro pour aller au boulot... C'est une opposition à tout ce qu'on nous propose en général, ce qui brille, qui va vite, le zapping, tout ce qui est plein d'éclat, éclat de voix, de lumière, le spectaculaire vite consommé, vite-digéré."

C'est essayer de proposer un truc qui fait poser des questions, qui ne répond pas, et qui est immobile. Et si les gens veulent des réponses, ils n'ont plus qu'à se tourner en eux-mêmes pour les trouver. Le deuxième c'est soliloque. Ça consiste à proposer un texte sur la prise de parole aux passants. Je porte une combinaison intégrale rouge avec une dentelle qui me sort de la bouche et qui forme une espèce de grand mégaphone. Je dis le texte à voix basse et reste immobile. Je travaille toujours avec des costumes dont ne dépassent que mes mains. Mon visage est masqué. C'est important pour moi de travailler sur le coté anonyme. D'abord le fait que le public ne s'intéresse pas à une personne singulière, mais juste à une présence, à un corps. Que ce soit moi ou quelqu'un d'autre, peu importe, sauf pour moi-même bien sûr, parce que je dois vivre l'expérience de la confrontation avec le public. Alors que le public lui n'est pas en confrontation avec moi personnellement, mais avec un objet artistique, un corps. Et puis, ça m'énerve que les gens attribuent plus d'importance à la personne qu'au contenu. Ils portent trop souvent des jugements de valeur par rapport à des critères liés aux statuts, à la reconnaissance, à de l'intellectualisme.

"C'est vraiment ça qui est chiant dans le milieu officiel de l'art, c'est que les artistes sont en quête de reconnaissance, de statut et de public."

Du coup, ils attendent plus de recevoir quelque chose que de donner quelque chose, ils veulent gagner quelque chose de ce qu'ils font.

A.B: Raconte nous les performances que tu as déjà faite ici à Montréal...

Toutes mes performances se font dans la rue. Je veux pas faire se déplacer les gens, je veux aller les trouver là où ils sont, dans l'état d'esprit où ils sont. Je ne veux pas qu'ils se soient préparés, je les prends sur le vif. La gratuité est aussi essentielle pour moi. Ici, pour l'instant je n'en ai fait qu'une, Éloge de la paresse. La première fois, c'était en travers d'un trottoir, le long du boulevard René Levesque, coin Union. On ne pouvait pas m'éviter et pourtant tous les gens ont trouvé le moyen de le faire. C'était bizarre et c'est ça qui était vraiment intéressant.

"C'est vraiment la confrontation avec l'homme-machine, l'homme pressé, en costume prêt à aller bosse. L'espace public est pour eux un non-lieu, juste fait pour être traverser, pour aller d'un point à un autre. La ville devient un lieu vide."

C'est terrible parce qu'il n'y a plus de connexion entre les lieux, ce sont des bulles non reliées entre elles, entre lesquelles les gens ne se croisent plus, ne se parlent plus. La deuxième fois c'était Square Victoria. J'ai eu un tout petit peu plus d'attention. J'étais bien par contre, très confortable, une belle vue sur le ciel et les arbres !! Ça me met dans une position peu habituelle. Même pour moi ! Quand je traverse la rue, j'ai jamais ce point de vue-là, du dormeur, je ne m'arrête pas. Ça me permet aussi tout ça. Il y a une dame qui s'est arrêtée, elle m'a parlé et m'a glissé son numéro en me disant qu'elle était vraiment intéressée par ce que je faisais. Mais je sais pas si finalement elle fait plus partie de l'action que tous ceux qui ne s'arrêtent pas, ou ne lancent même pas un regard. D'habitude, je refais jamais mes actions car je veux pas que ce soit de la représentation. Mais cette fois-là ça m'intéressait de m'accrocher tous les jours, un peu comme on faut sa sieste tous les jours. Du coup cette performance en fait regroupe tous les moments où j'étais dans mon hamac, comme un ensemble. Il y a l'idée de répétition pour cette action. Pour Soliloque, je reviendrai aussi tous les jours, comme pour rabacher toujours le même discours. Ce que je veux c'est un peu matraquer avec un texte, le répéter plusieurs fois sur le moment et chaque jour.

A.B: Activisme, art et immobilité, comment tu expliques ce rapprochement un peu paradoxal ?

P: Face à tant d'agitation, qu'est-ce que je pouvais faire ? J'étais un peu tétanisée par cette course aliénée et bruyante.

"Dans mes actions, il y a à la fois le message de "il faut s'arrêter" et de "il faut s'activer". Arrêter ce mouvement tous azimut et s'activer pour ne plus rester inerte."

Il y a aussi l'idée d'inverser l'ordre de la performance artistique traditionnelle, celle où le public est assis et l'artiste est en face et s'agite. Là je suis immobile, alors les passants peuvent être un peu bouleversés et c'est justement ce que je veux.
Il reste quand même une impasse, disons une contradiction entre le fait de se prétendre activiste et le fait de proposer de la non-action, puisque c'est comme ça que j'appelle mes performances. C'est toujours le problème de traduction d'une pensée activiste, traduire cette pensée de manière artistique. Ces performances c'est en fait ce que je fais de moins activiste dans ma vie. Je crois qu'il n'y a pas d'art activiste, mais il y a une approche par les activistes des problématiques esthétiques.

A.B.: Et alors l'inverse ne serait pas vrai, une approche par les artistes des problématique activistes ?

P: Je crois pas. Ça voudrait dire que l'art pourrait résoudre les questions politiques et ça marche pas, l'art ne transforme pas. Mais je pense que la transformation du monde ne peut se faire sans une réflexion sur l'esthétique, mais comme sur tout le reste. Je m'intéresse autant au féminisme, à l'anarchisme, aux tentatives zapatistes, aux mouvements sociaux, aux nano-technologies, à la grève... L'art pour moi n'est qu'une forme parmi d'autres.

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